Repas à Rougemuraille

L'abbé Anselme entra dans le réfectoire d'un pas lourd. Tous les habitants de Rougemuraille étaient là, et l'attendaient. Le blaireau colossal s'assit dans le fauteuil de bois qui lui était réservé, déposa son bâton à ses pieds, et commença :

"Mes chers amis, je vais bientôt faire honneur à ce délicieux festin. Mais tout d'abord, j'aimerais vous parler de quelque chose. Notre guerrier Arthur se fait bien vieux. Il n'a plus la force de manier l'épée de Martin. Alors, notre abbaye est dépourvue de guerrier officiel...

- Nous n'avons pas besoin de guerrier officiel ! glapit Galet, la solide loutre gardienne de l'étang. Nous avons deux blaireaux, une équipe de loutres, les Moinos, Téosinte le Sage... De plus, notre abbaye ne connaît pas de temps troublés, et cela fait longtemps que nous n'avons vu de vermines à Mousseray.

- Oui, tu as raison. Lorsque nous aurons besoin d'un guerrier, l'esprit de Martin se chargera de le trouver. Eh bien, bon appétit !"

Anselme mordit dans une quiche au céleri, invitant ainsi tous les autres à faire de même.

"Quoi Téosinte le Sage ?! hurla Gustave. Lui, nous défendre ? Ce sale traître et chapardeur... Savez-vous qu'il a dévalisé les pommiers hier... Et là il doit être en train de dévorer mes belles pommes, vu qu'il n'est pas à table. Nous allons tous mourir de faim à cause de lui !
- Je ne te le fais pas dire déclama Téosinte qui se trouvait juste derrière Gustave. Gustave sursauta alors en entendant ces paroles.

"Mais ne t'inquiète pas, quand ce cataclysme arrivera, tu seras déjà mort d'indigestion car tu aura mangé tout les mets que je t'aurais préparé... Goûte moi ça!"

Téosinte brandit à Gustave une cuillière en bois remplie d'une sorte de pâte jaunâtre.

"Hum excellent, merveilleux, magnifique, velouté de pomme fondue n'est-ce pas ?
- Exact ! répondit Téosinte.
- Le père Abbé a raison, tu est vraiment un sage puisque tu as prédis que je ne résisterais pas à cette merveilleuse bouillie ! Donne-moi ça mon ami !"
Gustave attrapa la petite marmite et se servit en velouté plus que son assiette ne pouvait en contenir.

"Laisse nous en ! hurla Galet alerté par la vitesse à laquelle Gustave engloutissait le plat.
- Ne t'inquiète pas Galet, j'ai préparé une autre marmite pleine, je ne suis pas fou, je sais qu'il ne peut résister à ma cuisine!
- Même bas prai, dit Gustave la boûche pleine.
- Ma conscience me dit que si je veux que mes amis mangent il vaut mieux que je ne prouve pas une telle parole...
- Tu es bien sage Téosinte, dit Galet impatientmais trêve d'enseignements foireux, va chercher le velouté !
- Merci pour ce compliment" répondit Téosinte en se fondant dans l'obscurité des couloirs menant aux cuisines.

Pendant que tout le monde mangeait, Téosinte s'approcha d'Anselme et lui dit :
"Alors tu as réfléchi à la proposition que je t'ai faite la semaine dernière à propos de mettre les archives sur un support qui durera mieux dans le temps et qui sera rangé dans la bibliothèque ?"

Anselme s'essuya délicatement, puis répondit :

"Eh bien, je suis d'accord. Je vais soumettre la question aux Anciens. Mais sur quel support veux-tu les transmettre ? Et à quoi servira le corps de garde ?"

"Sur des livres pardi !
Mais en fait, c'est vrai que le corps de garde n'aurait plus d'utilité. Hum...
Ah oui j'y suis, les archives sont rédigées sous la forme de journal. On pourrait faire une sorte d'encyclopédie dans laquelle on raconterait tout ce qui s'est passé."

"Bonne idée ! Nous nous y mettrons dès demain !" continua le blaireau.

Anselme tourna la tête, et vit Marianne, une cuisinière, qui lui faisait de grands signes :

"Venez, père abbé ! On a besoin de vous pour le gâteau !"

L'abbé courut vers les cuisines, et eut le souffle coupé : un gâteau aussi grand que lui trônait sur une table. Au sommet, on avait placé une étoile de nougat et de sucre.
Avec l'aide d'Hestia, Anselme réussit à l'amener dans le réfectoire en criant :

"Charlotte géante de Mousseray !"